Hommage à
Gutai
par
la revue ROBHO
Il
faut tout le géocentrisme " atlantique " des Mecques
de la culture et la haute opinion qu'elles ont de leur importance
pour que la prodigieuse créativité de Gutaï soit
quasiment passée inaperçue en Occident.
Gutaï a été le premier à opérer
de façon massive, plusieurs années avant New York
et Paris, le passage d'un art de l'objet à un art du comportement
et de l'événement.
Dès leurs premières manifestations collectives, les
hommes de Gutai ont résolu une fois pour toutes le problème
de l'objet par sa suppression. Leurs expositions en plein air,
sur scène, leur festival dans le ciel, leurs innombrables
propositions marquaient assez, dès 1955-61, que pour eux
l'important n'était plus dans la réalisation d'un
support durable, réussite plastique ou artisanale, mais bien
dans la création d'une exceptionnelle force d'impact psychologique
laquelle ne pouvait que gagner à s'expanser hors des
vieux médiums, dans la totalité du champ matériel,
dans le temps et l'espace.
D'où les caractéristiques de Gutai : l'éphémère,
le gigantisme, l'indifférence aux lieux culturels, l'extrême
liberté dans le choix du terrain (hangars, scènes,
bois de pins, etc. ) , la confusion délibérée
des moyens d'expression (théâtre, musique, peinture,
danse, etc.) et l'appel simultané à tous les sens.
D'où enfin l'extrême liberté dans le choix des
matériaux: feu, papier, fumée, boue, flèches,
vinyle, gonflables, trous dans le sol, cailloux, etc.
Il faudra déterminer un jour les rapports exacts - fussent-il
indirects - de Gutai avec Yves Klein, le groupe Zéro, Kaprow
et toute l'école de l'événement qui s'est développée
par la suite. Une part notable des expériences qui se réalisent
actuellement dans le monde artistique ont été annoncées
par Gutai: earth works, art topologique (aménagement du paysage),
participation du spectateur, art collectif, labyrinthes, process
art, uvres-feu, uvres aléatoires, gonflables,
air art, sky art tout est là, dans les photos rassemblées
ici, et l'on se demande, devant tel "festival sur les toits
" qui s'organise à New York, quel intérêt
il peut y avoir désormais à refaire tant bien que
mal le travail mené par Gutai voici plus de dix ans.
Car
la bataille conduite par les Japonais pour l'éclatement
du concept d'objet avait toute sa valeur à l'époque,
quand la quasi totalité du milieu artistique s'en tenait
aux vieux fétichisme du tableau, de la sculpture, du ready-made
ou de l'assemblage néo-dada.
Ces problèmes sont résolus aujourd'hui.
Les
expositions qui se développent actuellement aux Etats-Unis
sur le thème du feu, de l'air, de la terre, de l'eau et sous
le titre général d'" elemental sculpture ",
ont un premier défaut: mettre l'accent sur le matériau,
sur le médium aux dépens de la pensée. Néo-bucolisme
qui n'est qu'une image inversée du néo-technicisme
de type EAT (voir Editorial Robho N° 4) . Après les ingénieurs
" distrayants ", voici la vague des troglodytes pétrissant
de la glaise et soufflant sur le feu. A quand une exposition sur
la pierre ou le fer ? On y verra tout le monde même la Vénus
de Lespugue.
Il se pourrait que la reprise, un peu partout dans le monde, après
plus de dix ans, du vaste registre de Gutaï, ne soit qu'une
manière de rendre inoffensive voire commerciale une entreprise
qui pouvait appeler d'autres développements Que dans l'art
décoratif. Voici ce qu'on lit par exemple d'Otto Piene à
propos de ses lancers de ballons à Boston (Arts Canada; Juin
1969) : " Les villes sont devenues des labyrinthes de cauchemar.
Nos " fleurs volantes ", dans leur ciel, seront vues par
tous, feront apparaître les forces rassurantes de la nature
et y réimplanteront la beauté comme une force de vie
régulatrice. " Cette conception d'un ciel-vitrine offrant
au passant des villes le " joyeux " vis-à-vis
d'un jeu de ballons, et plus généralement cette façon
de considérer l'artiste comme l'amuseur, l'endormeur de
nos dimanches, c'est Gutaï réinterprété,
rétréci, vu par le petit côté de la
lorgnette. Toute répétition est réduction.
La splendide percée du groupe japonais méritait mieux.
ROBHO
- Sans aucun doute la meilleure revue du début des années
soixante dix; une revue qui vécut 6 numéros. Le N°
5-6 qui sortit le 2eme trimestre 1971 avec un double titre "
Enfin du nouveau " et " quelques aspects de l'art bourgeois
", fut la première revue française à publier
un dossier sur Gutaï. (7 pages 41 x 28 abondamment illustrées
- Rédaction : Julien Blaine, Jean Clay, Christiane Duparc,
Alain Schifres).
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