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L'Acte même Kôi Koso

Par SHIRAGA Kazuo, 1956

1re étape
Il fallait que mes œuvres parlent de moi. Ah ! toutes ces œuvres inconsidérées du passé.
Je rêvais d'une vie prestigieuse.

Ah! Laisser derrière moi une vie aussi dénuée de réflexion.

A chacun son temps; j'ai le mien. Et mon passé que je n'ai pas encore réussi à assimiler positivement. Pas plus que mon cœur .


2e étape
Travail d'assimilation du cœur. Passé désireux de posséder un cœur capable de tout digérer à l'instar de l'estomac des grosses bêtes. Maintenant, je n'ai ni pensée, ni dessein, ni cœur. Ai-je quelque désir? Aucune aspiration.

Mes actes. Ils sont là, impos-sibles à modifier, que je veuille ou non les fixer. Mon âme a rejeté mon cœur. Ma condition, tel que je suis venu au monde, est le point de départ de l'homme que je suis.

3e étape
Renaissance, tel que je suis né - comme dépourvu d'idée, de dessein ou de cœur, renais-sance comme point d'ancrage, sans que ce soient cœur, des-sein ou pensée d'autrefois. Rien d'autre que moi qui suis sorti de ma propre nature. Ainsi, je ne sais rien, en dehors de mes actes qui résistent à ma nature. Ni du passé ni de l'avenir .

Ces trois étapes franchies, mes œuvres n'ont nullement besoin d'être fixées durablement. Je mise tout sur mes actes.

La première étape fait allusion à mon activité picturale d'au-trefois. Lourdeur et ignorance à faire dresser les cheveux sur la tête. Comme un apprenti monstre qui rêvait de faire de l'expression picturale son gagne-pain. Plus que peindre, je souhaitais être flatté.

Comme le bruit d'un tambour crevé que je voulais faire entendre aux autres plutôt que de l'écouter moi-même. Que pouvait-on bien savoir de moi au travers de ces ornements bavards ? Seulement des objets sans âme, objets d'exposition superficiels et répétitifs ?

J'étais vraiment aveugle au vent nouveau qui soufflait de par le monde. Mon cerveau avait be-soin d'un œil.

Lorsque découvrant ma vraie nature je me suis décidé à me débarrasser de tous les uni-formes existants pour me mettre nu, la figuration a volé en éclats et j'ai laissé tomber mon couteau de peintre qui s'est brisé en deux. Chemin abrupt de l'originalité. Aller de l'avant, marcher encore, qu'importe de tomber. Un jour j'ai troqué mon couteau contre un morceau de bois que j'ai rejeté par impa-tience. J'ai essayé à main nue, avec les doigts de la main, Puis, persuadé qu'il fallait aller tou-jours plus avant, j'avançais tou-jours plus loin et, en avançant, j'ai trouvé les pieds. C'était bien ça! Peindre avec les pieds. . .

Et me voici parvenu à la deuxième étape. J'ai appré-hendé ma nature foncière. N'est-ce pas cela que je cher-chais depuis fort longtemps ? Sûr de moi, je me suis mis à défier toutes les données acquises et à résister même à ma nature. La technique a fait place à un acte sans contraintes et a stimulé le désir. Le désir changé en acte remplissait mon cœur calciné.

Comment mon acte qui est corps vivant , peut-il résister à la matière inerte ? J'ai donc décidé de prendre comme supports des éléments totalement opposés à la vie. De façon à ce que subsiste clairement la trace de mes actions. De la pierre ? Pas forcément. Pourquoi ne prendrais-je pas de la glace ? Support si éphémère et condamné à disparaître, que l'acte réalisé sur elle sera à jamais imprimé en moi. Non, personne ne peut nier qu'il n'en restera pas quelque chose.

J'ai pu parvenir à la troisième étape grâce aux travaux des expositions de plein air et cela correspond aux actions que je réalise actuellement. Si à l'époque j'avais eu conscience de cette étape, je n'aurais pas assemblé ces poteaux de bois rouge sous la forme d'un être vivant. Et puis, ce cône si plaintif n'aurait pas dû se re-marquer tellement. Pourtant, j'étais ému dans cet espace vide entouré par ces poteaux rouges. Et la hache mordit ces poteaux qui devaient imprimer en moi la brûlure la plus intense de ma vie. Cependant. . .

Je n'y arrivais plus. Mon cœur ne pouvait plus être comblé. L'action manquait d'intensité. Je ne compte plus pour me combler l'esprit et l'âme que sur mes actes lui prendront forme désormais.

Gutaï 3, Octobre 1955 traduction Francette Delaleu